Vous constaterez en parcourant les galeries de ce site qu’un certain nombre de photos sont en noir et blanc. On peut trouver cela étrange de se passer ainsi la couleur, à l’ère du numérique. Finalement, une photo noir et blanc n’est-elle pas « moins disante » par rapport à une photo couleur? Plus d’un demi-siècle après la démocratisation du procédé couleur, plus de 20 ans après l’appareil du numérique et des logiciels de retouches, pourquoi les photographes produisent-ils encore tant de photographies en noir et blanc? Quand et comment décident-ils de le faire?
La couleur arrive en 1903 avec le procédé autochrome des frères Lumières. C’est l’occasion au passage de vous conseiller la visite du Musée Lumière à Lyon! Dans les années 60, la couleur se généralise dans le photojournalisme. La reproduction couleur devient en effet bon marché et marque une forme de modernité. Parallèlement, la télévision couleur devient la norme et cette norme se transmet au monde de l’édition et de la publicité.
Pour autant, la photographie noir et blanc ne disparaît pas. Bien au contraire! Face à la modernité de la photographie publicitaire, le noir et blanc symbolise plus que jamais l’art et la création comme le montrent si bien Helmut Newton ou Richard Avedon.
Fenqiang Liu
Le tirage photo noir et blanc est accessible à tous. Les produits chimiques utilisés ne sont pas (ou peu) toxiques. La température et le dosage des bains de traitement supportent les imprécisions. Et c’est un plaisir certain de voir apparaître son tirage dans le révélateur de la chambre rouge.
A l’inverse, le tirage de photographies en couleur se fait au 1/10e de degré près, les produits utilisés sont toxiques et les manipulations se font dans le noir le plus total! Il n’y a franchement pas beaucoup de plaisir à faire un tirage couleur… C’est pour cela qu’on l’a toujours réservé aux machines et que la totalité des clubs photo sont équipés de labo noir et blanc et non couleur.
Nick Brandt
Parmi les photographes amateurs, l’esthétique du noir et blanc est toujours restée fortement ancrée, notamment dans les domaines du portrait et de la photographie de rue. Et ce, pour deux raisons principales : Tous les amateurs de photographie ont été imprégnés par le travail immense des grands noms de la photographie que sont Henri Cartier Bresson, Elliott Erwitt ou Irving Penn pour ne citer qu’eux. Ces grands maîtres ont produit leur art à une époque où le noir et blanc était la norme.
Une véritable culture de l’image en noir et blanc s’est donc créée et continuera à influencer la photographie de manière durable.
Cependant, à l’âge numérique, l’influence des anciens et les facilités d’usage ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer pourquoi le noir et blanc reste si présent dans l’esthétique de la photographie moderne. C’est donc que la photographie noir et blanc propose quelque chose de plus!
Sebastiao Salgado
Lorsqu’on débute en photo, on constate que passer une photo en noir et blanc lui donne tout de suite un caractère particulier, un petit quelque chose qui tend vers l’artistique.
Supprimer les couleurs, c’est supprimer des éléments qui nous rapprochent de la réalité, ou du moins de la perception que nous nous en faisons. Le noir et blanc nous éloigne de notre expérience du quotidien et de sa banalité.
Et qu’est-ce que l’art sinon une représentation personnelle du monde? La poésie ne consiste-t-elle pas à faire un pas de côté pour observer et décrire le monde autrement? En nous faisons faire ce pas de côté, la photographie noir et blanc nous aide à nous rapprocher de l’art et donc de nos émotions.
Damon Winter
Le noir et blanc est abstrait. La couleur ne l’est pas. En regardant une photographie en noir et blanc, vous regardez déjà un monde étrange – JOEL STERNFELD
Une photographie raconte une histoire. Elle guide le regard du lecteur pour lui transmettre une émotion. Là aussi, en supprimant les couleurs, et donc une couche d’information, une photographie noir et blanc permet de diriger beaucoup plus facilement ce regard vers ce qui compte.
L’oeil humain navigue naturellement sur une image en fonction de :
La luminance. L’oeil se dirige d’abord vers les hautes lumières et les éléments brillants
Les tonalités. Les couleurs chaudes (rouge, orange…) attirent également l’œil, plus que les couleurs froides (bleu, vert…)
La saturation. Les couleurs saturées attirent aussi le regard, plus que les couleurs pastels.
Patrick Camboulive
Lorsque vous regardez une image, votre cerveau choisit de le faire voyager selon ces trois critères. Avec le noir et blanc, seule la luminance vous guide.
Le plus beau luxe est la simplicité – PROVERBE KURDE
Typiquement, en photo de mariage, les préparatifs se font parfois dans des salons de coiffure. Dans ces salons, les couleurs des murs sont généralement très vives, très flashy, dans les tons rouges, pourpres, magentas… Le marketing visuel justifie ses choix. Ces tonalités symbolisent la créativité, la jeunesse, la passion…
Mais en photographie, ces grands aplats de couleurs viennent souvent « polluer » la lecture d’une image. Un échange de regard entre la mariée et sa meilleure amie sera alors brouillé par le violet saturé du mur en arrière-plan. Passer l’image en noir et blanc , avec quelques réglages de luminance localisés, est alors un très bon moyen de « dire » à votre œil où il doit regarder.
En noir et blanc, j’ai l’impression d’aller plus à l’essence de mon histoire – KADIR VAN LOHUIZEN
De la même manière, une photo comportant beaucoup d’éléments colorés en arrière-plan, même baignés dans le flou, viendront attirer l’œil et détourner l’attention de ce qui est réellement important dans l’image. Le noir et blanc aidera alors à purifier l’image, à la rendre plus simple à lire.
Certains photographes professionnels affichent leur photos en noir et blanc sur l’écran LCD de leur appareil photo, même si la photo finale sera traitée en couleur. Cela leur permet de se concentrer sur l’essentiel : l’exposition et la composition de leur photos. Je ne pratique pas cette méthode mais il n’est pas impossible que j’y arrive un jour.
D’autres considèrent le noir et blanc non pas comme un choix de traitement photo parmi d’autres, mais bien comme une technique créative à part entière, une technique directive en l’occurrence. Il s’agit de montrer sans fioriture, non la réalité, mais le message du photographe. Le noir et blanc, c’est une recherche de minimalisme.
Bien évidemment, la couleur a aussi son mot à dire dans la création photographique et beaucoup de photographes de mariage en ont fait leurs spécialités (Victor Lax, Rocio Vega, etc). C’est simplement une autre approche artistique qui mériterait également qu’on s’y attarde.
Lee Jeffries
Auteur inconnu
La couleur trahit son époque. Les filtres instagram de notre époque, le tone mapping criard des années 2000, les balances des blancs incertaines de nos premiers compacts numériques, les polaroïds jaunis de notre enfance, le sépia de nos grands-parents…
Si vous êtes passionné de photographie et que vous avez vu des milliers d’images, il vous devient facile de deviner l’âge d’une photographie couleur, même si aucun autre indice ne vous aide.
A l’inverse, en dehors du jaunissement d’un papier mal conservé, un noir et blanc reste un noir et blanc. Seuls les éléments constitutifs de l’image trahiront l’époque d’une prise de vue, le look vestimentaire, le design des objets…
C’est ce qui rend certains portraits si fascinants:
Nos appareils photos actuels sont capables d’enregistrer 16 millions de valeurs chromatiques différentes. Nos logiciels de retouche d’images peuvent faire danser ces couleurs comme dans un feu d’artifice lancé depuis un manège. Pourtant, la photographie en noir et blanc n’a pas moins de sens aujourd’hui qu’hier. Elle vient même nous accorder une pause dans le rush de nos vies numériques. Elle est l’outil d’un langage graphique qui tend vers la simplicité, la pureté et le minimalisme. Des choses qui manquent à notre époque. Des choses qui me parlent en tant qu’homme et en tant que photographe.
Je veux être à la hauteur de la beauté du monde.
On ne photographie jamais le réel mais une perception du réel.
On peut tout photographier si on le fait pour de bonnes raisons.
Il y a un alignement entre l’homme et le photographe que je suis.
Je ne veux jamais cesser d’apprendre.